Étourdir la parade
Jongleries 01
Quand tu n’as rien d’autre, construis des cérémonies à partir de
rien et anime-les de ton souffle. (Cormac McCarthy, La Route)
Lundi tout seul dans un coin de bar à peine éclairé. Je me laisse faire en attendant que la journée finisse. Les soirs sont tardifs, pour la saison, et c’est comme si je le sentais d’avance, comme si je l’avais toujours su…
Tout cela n’est qu’un rêve.
Je ne marche plus, je rampe. Comment alors me propulser vers l’absolu avec tout ce quotidien, la contingence de ce vertige – de tous les vertiges – et la vacuité de toutes ces existences qui le composent?
La Ville est là. Bien sûr qu’elle y est; elles y sont toutes! Mais… pour qui? Bien d’autres y viennent et semblent y trouver leur place mais moi, moi qui ne peut aspirer qu’à l’errance ?
Je veux croire que quelque chose m’attend demain mais j’écarquille les yeux comme si c’était mon dernier jour sur terre.
J’avale le paysage. J’engouffre les avenues, les esplanades. Les uns après les autres, je respire les vieux quartiers.
L’espace urbain se divise en plusieurs entités distinctes mais reliées. J’observe la fuite de l’une vers l’autre – c’est-à-dire qu’une rue, comme une sorte de geste commencé, semble ne pouvoir s’achever qu’après une sorte de saut dans un autre espace, entièrement différent. Fantasque, suis-je devenu, réduit au néant d’un ésotérisme à trois sous et autres onirismes de tout poil.
Pourtant, encore à jeun, je me sens grisé, et certainement fébrile. Peut-être qu’enfin, et pour la première fois depuis des années, mes sens se réveillent.
Mais je recommence déjà à rêver.
Je rêve d’une avenue joyeuse et éclairée, pleine de gens, affairés mais pas trop, tout juste accaparés.
Je rêve d’une grande place publique, au cœur de la ville, de mes pas légers sur le pavé. Les façades sont décorées, il y a des gens partout, l’ambiance est festive.
Et je rêve que je danse, étourdi, au milieu de la parade.