Journal de Zippo * (1. Les Zuniens)
- Claudius

- 11 mai
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 mai

Y a des jours, le frisson remonte d’en bas du dos, creuse un peu entre les omoplates et revient devant, en pleine poitrine.
On pense avoir attrapé un truc – un truc ! Une merde, oui, du genre que tant que c’est pas la nôtre on s’en balance de la corniche du quarante-septième !
Aucun répit.
« On prend quoi contre le frisson, docteur ? »
Aucune réponse non plus.
Certain que je ferais un fou de moi, ce serait pas la première fois. Je dérive plutôt du côté court que jardin. « Y en a plus derrière que devant ! », comme on dit – qu’on disait en tous cas, avant qu’on nous la boucle pour raison de désobéissance latente.
Alors moi, à ça, je rétorque : « Certainement, monsieur, et je m’en vante ! Mon derrière vaut bien le vôtre ! »
Et puis quoi ?
Faudrait être d’accord sur tout, être tous pareils, beige pâle quand c’est pas vert fluo ou bleu flou ? Pfft ! Parfaitement, et je le redis : pfft ! Et je dis aussi qu’on se fait entuber, mener en bateau, rouler dans la farine et enrubanner par-dessus le marché ! Et tout le foin que ça fait ! Et pour quoi ? Pour pas sauter à pieds joints dans le wagon du conformisme. Pour hésiter ! Ah, mais je sais au moins une chose : ils auront beau rétrécir les caractères au nanoscope que ça n’y changera rien du tout et point final : je refuse de signer un truc qu’y a pas moyen de lire, et je dirai même : un truc que j’ai pas écrit moi-même !
« Anarchiste ! Fauteur de troubles ! Artiste ! »
Sont à court d’invectives et d’adjectifs, forcément ; pour ça faut avoir réfléchi, avoir pris le temps de creuser la chose – et quand on sait ce que ça leur en coûte de laisser gérer ça par d’autres compteurs que ceux qu’ils ont trafiqués eux-mêmes… Pfft ! Y a pas d’autre mot.
Plus c’est plein devant, plus c’est vide en haut !
Des exemples ? Y en pleut.
Hier encore, un type sur l’avenue, en face, qui gare sa Porsche noire au super ralenti. Déjà, pas un grain de poussière, qu’on aurait dit qu’elle sortait tout juste du placenta mécanique original. Eh bien ! Il laisse les hasards – les feux d’urgence, comme on dit ici – une demi-heure minimum après s’être finalement garé. Une fois traversé, il continue à scruter les environs comme s’il passait le périmètre au détecteur, des fois qu’un pigeon aurait comme une envie de s’aventurer un peu trop près du pare-brise ou, pire, qu’un sans-abri s’en serve comme miroir. Et puis le type : un cas ! La tronche si sèche qu’on aurait dit que ça sortait de chez le plâtrier ! Eh bien, çui-là, son contrat, je lui aurait fait bouffer tout cru, d’une seule bouchée, sans vinaigrette ! C’est tout ce que ça mérite ces gens-là, qui font des manières qu’on se demande si on n’est pas en train de tourner une télé-réalité – foutue poubelle ça aussi. Et ça vient zyeuter l’univers de haut, même la poussière ; la poussière, vous vous rendez compte ?
Alors là, moi, qu’à la base j’suis pas pour le dépistage génétique, je ferais exception, hein ? Mais un truc de précision, attention ! Du genre qui nous permettrait d’intercepter ce genre de zoziau avant même le premier biberon et de s’assurer que ça risque plus de causer de dommages une fois élevé – c’est le cas de le dire ! Et que surtout, ça pourra pas se reproduire. Ah mais !
Enfin, moi, tout c’que j’en dis, c’est qu’il va falloir que les gens, les vrais, les normaux, enfin, qu’on s’en occupe, quoi ! Et d’abord qu’on redonne tout ce qui a été confisqué. Et que ça, ça urge depuis foutrement longtemps ! C’est que ça en a fait des petits ces cons-là, et que ça s’est transmis le butin d’une génération de dégénérés à l’autre. Usurpateurs tous, de père en fils ! De vipères en charogne ! Du cousinage ! De l’entourloupe incorporée ! De la magouille : faut bien nommer les choses comme elles sont !
Les gens ne se doutent pas, mais alors, pas du tout !
Suffirait pourtant qu’on arrête la machine, qu’on arrête tout, tous et toutes, tout le monde en même temps : paf et vlan ! Je paierais cher pour voir ça, même si j’ai pas un kopeck. Je crois même que j’emprunterais à crédit, tiens ! Juste pour voir comment que ça se débrouillerait ces ploucs-là : les snobs cravatés, les avocats rancis, tous les boursicoteurs, hein ? Sans tous nos pieds et nos mains qui n’en feraient plus. Plus d’huile pour graisser leurs mécaniques. Plus d’essence pour les faire rouler. Et qui c’est qu’enlèverait la poussière dessus ? Qui c’est qui pédalerait pour faire marcher leurs dynamos ? Je leur donne pas deux semaines, et ça braillerait pour un foutu hamburger, qu’y peuvent même pas supporter la vue du sang qui coule du bœuf qu’on massacre pour faire la boulette qui leur élargit le cul. Ah mais !
C’est pas parce qu’on vient pas de la haute ville et qu’on a pas son chalet vintage en banlieue chic, qu’on est tous gauches et interdits d’ambidextrie à perpète ! On sait réfléchir sans fléchir. Observer sans servir. Oui messieurs, dames et indécis : on en a vu d’autres avant et des presque aussi pires. Les zuniens, que je les appelle, on n’en a rien à foutre chez nous ! Y avaient qu’à pas voter en zombies. Ah mais ! Qu’ils se lèvent, tiens ! Qu’ils partent, qu’ils refusent, qu’ils se brassent entre camarades et s’hyper-branchent là où je pense ! Et qu’ils viennent surtout pas essayer de nous rincer la cervelle ! On n’a pas dit notre avant-dernier mot, j’vous jure !
Et puis moi je dis comme ça que la guerre, la troisième, la quatrième, comme on veut, eh bien, elle est commencée et que ça fait une paye. Qu’est-ce que ça va prendre pour convaincre la dite population ? Une annonce officielle ? Un signal de départ ? Un grand concours international ?
Complètement largués, tous et toutes, et les zinzindécis ! Y a de quoi pleurer toutes les larmes d’une vie. Mais qu’est-ce qu’ils croient, les gens ? Que les empereurs zuniens vont se décarcasser pour sauver le peuple ordinaire ? Les travailleurs ? Ben voyons ! Y en a qui avalent ça ? Vraiment, ça me dépasse, mais alors tellement que c’est comme voyager dans le temps et remonter aux tyrannosaures. Le bouffi orange à crête jaune, ça vous dit rien ? Le Ketaminus musqué ? En voilà des noms de vieilles bestioles, j’vous le confirme. Et avec des manières d’une autre époque aussi, tiens. C’est de la préhistoire sur mesure garantie.
Alors je dis qu’il faut que ce soit les zuniens qui fassent leur ménage chez eux, et ça urge. Sinon, y restera rien à ménager. À manger non plus, tiens ! Et nous alors ? Et les ceuzes qui s’en foutent parce qu’y savent rien de rien, qu’ils ont le cerveau à la moulinette et de la mayonnaise dans le processeur ? Et qui font que casser des œufs tous les jours que le soi-disant bon dieu amène ! Casser, casser, toujours casser. Jamais personne pour recoller le moindre petit morceau.
Moi je sais pas où tout ça nous mène mais ça nous fait réfléchir dans le mauvais sens. Plus ça chicotte, moins c’est bon pour la longévité, y a pas. Et ça donne soif, ça c’est sûr.
La solution ? Ah mais, n’y en aurait-il qu’une seule et unique, messieurs, mesdames et autres désorientés, qu’il va falloir s’en occuper et rapidos ! Faut révolutionner, j’vois pas autrement. Et tant qu’à y être, on pourrait, en passant, mettre un peu d’ordre dans les vieux dossiers. Repasser un peu partout, question de voir à ce que le ménage se fasse rondement et en profondeur. Une révolution de gros, quoi ! Appelons ça une hyperévolution, avec consortium de rebelles, intellectuels en première ligne, et populace en liesse comme pour le jour du défilé. On verra bien si l’opposition reste campée sur ses positions et autres propositions indécentes.
« They’ve got the guns but we’ve got the numbers * », qu’on se le dise !
Faut assumer qu’on est ici et maintenant et puis, qu’on le veuille ou non, du bon côté de l’histoire, comme on dit, même si ça risque de mal se terminer, pour nous autres comme pour les planqués de l’autre côté.
Peut-être que dans trois ou quatre cents ans ce sera nous les héros statufiés.
Pour l’instant, tout ce qu’on est, c’est des zéros stupéfiés.
* Zippo est un personnage de roman, donc réel, auquel il m'arrive de prêter ma plume de temps à autre. C'est un homme aux multiples visages, obstiné et de tendance associale, aux propos souvent incendiaires et qui n'a jamais eu peur de mettre le feu aux poudres. Je l'imagine aujourd'hui, vivant à l'écart, observant le monde et ruminant son fiel...
* Five to one, chanson des Doors




J’adore ta plume. Et le propos.