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Passages (04)

Claudius

Il m’arrive de faire des pitreries, des grimaces, des mauvais jeux de mots.


Ça me vient naturellement, pas pour faire l’intéressant.


Mon écriture s’échafaude également, de temps à autre, sur des pitreries, certaines assez alambiquées.


« Le vide, c'est ce qui reste quand on a tout enlevé, sauf le vide. » (1)


Contraintes oulipiennes, procédés poétiques et autres gymnastiques mentales sont bien sûr pratiques pour stimuler l’imagination, structurer un texte ou se sortir d’un cul-de-sac, mais ça ne m’amuse qu’un temps. Sans parler des migraines… J’utilise ordinairement une méthode plus commune qui consiste à choisir un mot (un thème), l’entrer dans un moteur de recherche (ou ouvrir un dictionnaire) et voir ce qui en ressort : une phrase, une image, une idée; l’inspiration quoi ! Ensuite, je creuse le sujet plus à fond.

 

Ce matin, j’envoie P A S S A G E et j’attends… Rien.

Je relance… Pas plus de chance.

Je réessaie… Niet !

Tout ce que la machine crache semble sorti d’un manuel de physique quantique. Comme aurait dit Chaplin à Einstein : j’y pige que dalle ! Je reste sur ma soif, je dirais même mon avidité. J’suis pas plus avancé, aucun contenu ajouté et pas plus de discernement qu’avant concernant l’ordre des choses.

 

Passage à vide, donc.

 

(Que je suis bête…)

 

Je recommence.


*****

 

Au commencement, ou plutôt avant, il n’y avait rien.

Tout était vide, enfin c’est-ce qu’on nous a appris. Il a pourtant suffi d’un bang pour répandre de la matière partout, et aujourd’hui on en a plein le dos.  Dire que tout ça est parti de rien; ou presque.

Tout part du vide. Et tout y revient.

 

Le mot VIDE a bien des significations et, paradoxalement, désigne parfois ce qui n’en a pas. Plusieurs mots sont vides de sens et de justification tant qu’on ne s’en est pas servi. Ainsi AMOUR, BONHEUR, TRISTESSE, NAISSANCE, MORT, VOYAGE… Le mot VIE est en lui-même dénué de substance – car la vie elle-même peut pour certaines personnes n’en avoir aucune, ou alors changeante. La vie est belle, cruelle, étonnante, injuste. On s’y accroche et même si on s’acharne à la remplir de tout ce qu’on peut y mettre, on la perd tout autant pour des raisons futiles. Bref.

 

À chacun de ces mots on peut attribuer, au-delà de leur définition générale, le sens que l’on désire. Chacun est maître d’exercer une forme ou une autre de subjectivité. Le vide c’est aussi l’ouverture permettant d’accéder à certaines formes de liberté. Liberté de pensée et de volonté, entre autres.

 

Certains vides sont stériles, bien sûr, sans valeur particulière et sans intérêt. Une boîte vide ne contient rien du tout. De même une maison vacante, une rue déserte. Pas grand-chose à en tirer à première vue. Mais. La maison est imprégnée de l’histoire de ses occupants. Que contenait la boîte ? La rue n’est-elle pas plutôt dépeuplée – et alors où est passé tout le monde ? Une question en amène une autre et par la suite un tas de réponses, ou des hypothèses. Peu importe qu’elles soient exactes ou non, elles ont pris toute la place et le vide a foutu le camp.

 

On le retrouve au bord de l’abîme, au-dessus d’un gouffre sans fond, du moins en apparence. Sans point d’appui, on se retrouve à la merci d’un espace effrayant, mais qui est tout sauf vide, et qui nous injecte sans avertissement un venin foudroyant qu’on appelle vertige.

 

On serait d’instinct porté à croire que le vide n’occupe aucun espace, pas plus qu’il ne s’inscrit dans une durée. Encore une fois, il est aisé de prouver le contraire. C’est qu’il y a dans l’univers un foisonnement d’espaces vides (ou soi-disant) qui, bien qu’invisibles et difficilement détectables, occupent une certaine forme d’espace d’où ils influent sur la marche du temps. Et qu’est-ce le temps sinon la mesure d’un espace vide par des repères subjectifs ? Impossible d’échapper au paradoxe temporel. Une durée X, infiniment divisible, est indissociable de l’infini qui la constitue, et de ce fait demeure insaisissable car indéterminée. Le raisonnement est vite piégé. Mais il faut pourtant en sortir et, surtout, en revenir.

 

Et j’en reviens, les mains vides; ou plutôt la tête.

 

Y a de ces jours où la réalité défaille et nous met face à la vacuité de l’existence. Ce n’est plus un simple vide, c’est autre chose : un phénomène à la fois présent et intangible qui le surpasse et qui s’étend par capillarité comme une soif. Le néant, s’il se répand, devient vorace et avale tout, même le vide, et bien qu’il n’existe pas, enfin pas physiquement (on l’appelle aussi non-être), on ne peut pas s’en débarrasser. Comme l’antimatière, sans laquelle l’univers tangible perdrait sa cohésion, on ne peut jamais saisir le néant.

 

« Le néant n’est pas pensable, car rien qu’en le pensant, on le détruit. » (2)

 

En toute logique, on ne peut pas détruire ce qui n’a aucune existence avérée. On ne peut jamais que le chasser, le déplacer ailleurs. Et cet ailleurs, qui n’a pas non plus d’existence, c’est nulle part. Et c’est là que le néant se trouve, comme en suspension, en attendant de réapparaître, recontaminer notre pensée et perturber encore une fois notre équilibre.


*****

 

Que faire ? La réponse est plus simple qu’on aurait tendance à l’imaginer, et c’est le plus grand de tous les sages, le Temps, qui nous la souffle : il suffit d’attendre, voilà tout. Je ne doute pas que l’attente puisse causer de l’inconfort, voire être carrément insoutenable mais, en soit, elle n’a rien d’incompréhensible. La sagesse populaire nous l’enseigne : le temps n’efface pas tout mais il apaise bien des maux, y compris le spleen et bien d’autres malaises aux causes indéterminées.

 

Bien qu’il ne soit composé d’aucunes particules matérielles (on n’a toujours pas découvert de chronons), qu’il soit fuyant comme une onde et tout aussi insaisissable que le néant (dont il est d’une certaine façon l’antithèse) et qu’il possède des propriétés délétères incontestées, on serait fou de rejeter son aide. Car il demeure un puissant guérisseur et un allié de taille dans la lutte quasi permanente que nous menons, chacun d’entre nous, contre la lassitude et l’apathie, et ultimement, contre l’annihilation totale.


1. Étienne Klein

2. Henri Bergson

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